Une ville, ses rues et ses jeunes

Lettre vagabonde – 25 juin 2008

      

Cher Urgel,

Ça y est. Une impressionnante partie de la population sort tout juste d’une année de travail, prête à prendre la clé des champs. Les d’étudiants des cinq écoles de Campbellton s’aventureront du côté de la liberté. Terminés les dix mois d’horaires fixes, d’échéanciers, de routine, de cloches à couper le temps en quatre et d’enfermement entre quatre murs. On devrait donc voir des enfants et des adolescents déambuler dans les rues de la ville, occuper les parcs, flâner sur les trottoirs ou se rassembler dans les espaces publics.

La ville de Campbellton accorde-t-elle une place aux adolescents et aux jeunes adultes? À plusieurs endroits du centre-ville, des pancartes affichent l’interdiction de flâner. Le stationnement est interdit devant certains commerces après les heures de fermeture. Le parc de la ville s’est vu avaler par un centre sportif qui ne paraît pas répondre aux aspirations des jeunes ni à leurs moyens. Du moins peu le fréquentent, surtout pas les filles qui, elles, ne font pas partie des clubs de hockey. Il est rare de voir un rassemblement de jeunes dans la ville de Campbellton.

À bien y penser, les personnes âgées non plus ne courent pas les rues. Quelques vieux s’attardent parfois sur les bancs à l’intérieur du Centre commercial. Après les heures de fermeture des magasins, Campbellton se transforme en ville désertée. On dirait que les trottoirs du centre-ville n’ont d’utilité que pour se rendre d’un commerce à l’autre. Quelques rares exceptions les utilisent pour se rendre au travail. La ville a beau avoir aménagé des emplacements parsemés de fleurs et de bancs, peu de promeneurs, tout âge confondu, s’y arrêtent. Les attraits installés ici et là sur le boulevard du Saumon donnent l’impression de vouloir attirer le touriste plutôt que le résidant. Il y a bien quelques marcheurs qui y circulent en quête de forme physique. Les simples promeneurs sont rares.

Un centre-ville devrait accorder l’espace à sa jeune population. Est-ce par crainte des méfaits des rassemblements ? On craint souvent que les rassemblements de jeunes les incitent à détruire, violenter ou saccager les lieux publics. La violence s’exerce  surtout contre ce qui ne nous appartient pas, ce qui nous paraît étranger. La ville devrait prendre vie à l’été, réunir ses citoyens en son centre, attirés par ses rues vivantes. Dans Poétique de la ville Pierre Sansot parle de rues vivantes, animées, colorées, fréquentées et chaudes. À Campbellton, les rues s’éteignent, les trottoirs sont désertés. Plus rien n’attire la population, surtout pas la jeunesse.

Lors d’un séjour en Italie, à Florence, je constatai qu’une ville pouvait accorder une place vitale à sa jeunesse. Des rues menant au centre-ville se transformaient en sens unique le soir. Des jeunes à pied, à vélo, à mobylette déambulaient vers le centre. La ville s’animait, s’enflammait de rires et de cris sous la présence de centaines de jeunes. Il paraît que l’Italie accorde à la promenade citadine le statut d’activité culturelle. Il n’est pas dans nos mœurs de faire un usage piéton de la ville chez nous. C’est dommage car comment peut-on découvrir véritablement une ville sans côtoyer ses résidants et la traverser en marchant? Il faut fréquenter Campbellton lors de son festival du Saumon pour retrouver sa population rassemblée, déambulant dans les rues, prenant possession de la ville. Dans Balades des jours ordinaires Marie Rouanet écrit : « Il me suffit parfois de marcher sur un trottoir dans une rue où je n’ai pas l’habitude de passer, dans une rue archiconnue pourtant, pour que le monde soit naissant. » Pour cela, il faut qu’une ville accorde à ses citoyens le droit de flâner et encourage la fréquentation des lieux publics autres que les commerces. Même les rares restaurants ont de la difficulté à survivre à Campbellton tant les clients sont rares. Les villes sont devenues des endroits pour les voitures. Les stationnements occupent une grande partie de l’espace.

Et puis, je sais bien où trouver les jeunes résidants durant les vacances d’été. Ils sont de retour au travail. Les emplois d’été et les institutions de formation spécialisée retiennent la jeune population dans les filets des horaires, du temps coupé en quatre, des obligations et des performances. Le rendement avant tout pour se rendre au bout de je ne sais quoi. Écoles de hockey, de danse, de théâtre, d’informatique et autres remplacent l’école publique.

Nous aurions tous intérêt à lire L’art de marcher de Rebecca Solnit où elle fait entre autre l’éloge de la marche en ville. « Les villes sont par excellence les lieux de l’anonymat, de la diversité, du rapprochement, trois qualités qui s’apprécient idéalement en marchant. » Elle insiste. « La ville recèle toujours plus de richesses que chacun de ses habitants ne le soupçonne… » Les rues des villes enseignent, réveillent et s’ouvrent sur l’imaginaire. Rebecca Solnit conseille de marcher dans sa ville. « Marcher n’est certes pas une preuve de sens civique mais c’est un excellent moyen de connaître sa ville et ses concitoyens, d’habiter la cité au sens plein du terme plutôt que la minuscule parcelle qu’on s’en attribue. »

Vacances, un mot qui a perdu son sens et son contenu pour de nombreux étudiants. Ville, un lieu qui aurait avantage à se laisser occuper par la jeunesse et à s’occuper des jeunes. Il est dommage d’interdire à la jeune population la liberté de flâner et de rêver sa ville. Ils partiront un jour pour étudier, pour travailler et souvent, pour ne plus revenir. L’espoir a peut-être déserté les rues de Campbellton. Les rêves reprennent leur vision au-delà des limites de la ville qui n’a pas su les contenir. Mieux vaut user ses semelles que d’appuyer son doigt sur la souris et comme l’écrit Rebecca Solnit : « Il me semble justement qu’un enfant a beaucoup à apprendre d’une course sous la pluie jusqu’à la bibliothèque, ne serait-ce que parce qu’elle éveille ses sens et son imaginaire. » Voilà ma suggestion d’itinéraire incontournable : la bibliothèque. Au moins dans les livres, on retrouve les vacances, la détente et le droit de flâner sur toutes les routes de la planète. Bonnes vacances!

Amitiés,

Alvina

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