Robert Lalonde, ce passeur de mots

Lettre vagabonde – 25 juin 2011

Robert Lalonde me rappelle ce quêteux qui se pointait chez nous chaque été, sa besace remplie de bouts du monde et de rêves enchevêtrés, qu’enfants, nous nous empressions de saisir. Je les attendais impatiemment les récits du quêteux. Maintenant je me réjouis de même devant tout nouvel arrivage littéraire de Robert Lalonde. Je pousse l’audace jusqu’à exiger qu’il me rende des comptes lorsque le temps passe sans que ne se pointe à l’horizon le vacarmeur avec un nouveau récit.

Le seul instant nous convie à la petite histoire du monde, ce « petit temps » dont Alexandre Vialatte affirme qu’il est le tissu même de nos journées. L’écrivain dispose d’une manière privilégiée d’habiter la terre qui s’apparente à celle de Kenneth White, fondateur de la géopoétique. Je suis voyageuse au pays de Robert Lalonde à Sainte-Cécile de Milton en ses territoires intérieurs et extérieurs. Sa demeure accueille poètes, romanciers, artistes peintres, écrivains, philosophes et scientifiques au fil des pages. Les confidences sont chaleureuses, les propos vivifiants. Robert Lalonde se gave littéralement de lecture et transmet sa passion dans son œuvre. Il y dévoile son univers : rivières, forêts, champs, livres, écriture, animaux sauvages et domestiques. Le chien et les chats de Robert me sont devenus familiers.

L’écriture de Robert Lalonde explore la nature, sa faune et sa flore telles des entités à part entière. Il y puise la substance pour explorer la nature humaine dans toute sa complexité. Il accorde sa vision du réel à son œil scrutateur. L’univers de l’écrivain est tissé d’un inépuisable réseau de penseurs, de questionnements et de lieux habités solidement intégrés à la réalité du quotidien. « Il existe un va-et-vient incessant entre le corps, le cerveau et le monde » stipule Robert Lalonde. Il réfute l’idée que le cerveau puisse fonctionner comme un ordinateur puisqu’il est constamment soumis à l’influence de l’environnement. L’écrivain est à la fois témoin et interprète. On ne peut trouver plus authentique porte-parole de nos incertitudes, nos émotions et nos étonnements qu’en l’homme de mouvement et de réflexion.

Robert Lalonde reflète cette dimension de nous, complexe et multiple et pourtant simple et unique. Immergé dans l’océan des mots, il en sonde les abysses. « Et je ne suis témoin qu’en écrivant. C’est comme ça. L’attention ferme boutique dès que j’entreprends d’exister ailleurs et autrement que sur ma page, qui est un prisme, une boule de cristal, mon troisième œil. Si je m’arrête et lève la tête, je deviens nuage qui passe, mouche qui vole, vent qui souffle, chatte qui bâille, chardonneret qui voltige. »

Les œuvres des autres créateurs parcourent la sienne, tissent la toile de nos territoires, fermentent notre terreau d’interrogations et d’émerveillement, aiguisent l’acuité de notre regard. Robert Lalonde emprunte à Joë Bousquet : « Il faut voir les choses dans le regard qu’elles nous font. » Et de Teilhard de Chardin : « Nous nous connaissons et nous nous dirigeons, mais dans un rayon incroyablement faible. Immédiatement au-delà commence une nuit impénétrable et cependant chargée de présence – la nuit de tout ce qui est en nous et autour de nous, sans nous et malgré nous. » En partageant avec le lecteur ses propres lectures, Robert devient cet être généreux, un guide dans l’exploration de nos espaces. Jean Désy illustre bien les mots de notre vacarmeur : « Un guide heureux est un guide qui aime faire découvrir à ses invités une montagne, un lac, un sentier, un animal, un nuage, un ciel. »

Le seul instant est parsemé d’aquarelles et de pastels de l’auteur comme autant de points de vue sur le monde, de l’humeur du temps, des couleurs de l’espace. Une cinquantaine d’écrivains, artistes et savants sont mentionnés ou cités. Je suis ravie de retrouver les écrivains que j’aime ou d’en croiser de nouveaux. Je ne termine jamais un récit de Robert Lalonde sans me précipiter chez mon libraire et commander quelques volumes. On dirait qu’il existe soudain un grand vide dans ma bibliothèque que je dois remplir sous les conseils impératifs de l’auteur. Le seul instant détient cette force littéraire qui nous met en appétit de lecture.

Je reconnais en l’auteur de Le seul instant un esprit lié à la vibration de la terre, qui arrive à communiquer le sens de l’univers et de ses réalités. Il nous lègue cette vitalité qui le distingue. Il secoue nos fondations et apaise notre esprit tout à la fois. Robert Lalonde est un passeur de littérature, un grand maître mot.

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