Atterrissage forcé

Chronique du monde – 10 mai 2006

Cher Urgel,

Après un séjour de deux mois à l’extérieur de mon pays, rien de plus naturel que de courir aux nouvelles à mon arrivée. Première déception, le Premier ministre Harper coupe à tour de bras dans les budgets accordés à la lutte contre les changements climatiques. Au niveau provincial, Jean Charest sape dans le bien public comme le parc national du Mont Orford en laissant la porte ouverte aux investisseurs privés. On construira des condos à l’intérieur du parc. Moi qui croyais que la mission d’un parc consistait à protéger la flore, la faune et à permettre aux citoyens de profiter de la nature. Voilà qu’on laisse une espèce menaçante s’installer dans ce milieu naturel. Les autres espèces seront menacées à coup sûr.

Un autre dossier provincial me laisse perplexe. Le ministère de l’Éducation vient de doter ses écoles secondaires d’un nouveau programme en histoire. Voilà que le couperet de la censure a rayé de l’histoire des événements historiques. Tenter de changer le cours de l’histoire comme on change de mode, ça fait une sérieuse brèche dans la mémoire collective.

J’ouvre le journal régional, histoire de me remettre les pieds sur terre. Là, ce fut un choc. Le maire de Pointe-à-la-Croix lance un cri d’alarme. Son village est envahi par son gang de rue qui rivalise avec ceux de deux municipalités voisines. Le maire demande à la Sûreté du Québec d’assurer une surveillance accrue durant la nuit. Les policiers ne sentent pas l’urgence d’accéder à la demande. Le lendemain lorsque je me rendis au dépanneur du village, il ne restait qu’un bâtiment incendié, tout comme une maison à deux pas de là. Trois voitures étaient calcinées. Un village pris d’assaut comme les banlieues de Paris?

Suis-je vraiment revenue dans mon pays que je me suis dit. L’invraisemblable m’attrape et me plonge en sa dure réalité. Juste comme j’allais pencher du côté de la méfiance généralisée envers tous les systèmes sociaux-politiques canadiens, je suis tombée sur la chronique de Denise Bombardier. Dans le Devoir de samedi dernier, la chronique intitulée « Suspicion » m’a remis les émotions en place. Denise Bombardier y réfute « la suspicion systématique que nous éprouvons face aux gens, aux institutions et aux projets de tout genre. » À force de voir des escrocs partout, dans le monde des affaires comme en politique, on n’arrive à ne plus faire confiance à nos semblables. On doute même des intentions des parents et amis.

Je tente de remettre les pendules à l’heure et de voir clair dans ces événements qui relèvent d’un profond malaise social et politique. J’en déduis que trop de personnes et trop d’organismes sont laissés à eux-mêmes, ne se sentent ni appuyés ni valorisés dans leurs démarches. Peut-être est-ce le temps de retrouver une force commune afin de changer le cours des choses. La solidarité seule peut rassembler les gens d’un pays, d’une province ou d’un village. Si un groupe de jeunes, solidaires, peut détruire la confiance d’une population et mettre en péril sa sécurité, je suis convaincue qu’un autre groupe solidaire de tout âge est capable de restaurer un climat de confiance.

Denise Bombardier conclut sa chronique ainsi : « La suspicion actuelle, généralisée dans la société québécoise, nous enferme dans un huis clos où, pour paraphraser Jean-Paul Sartre, l’enfer, c’est nous autres… » Afin de contribuer à la qualité de vie dans mon coin de pays, j’ai besoin de semer la confiance et de réfuter toute méfiance qui nous éloigne les uns des autres.

Il me revient en mémoire le fameux texte de Frederick Douglas dans son livre « Mémoires d’un esclave américain » publié en 1849. Une longue citation certes, mais elle convainc du besoin de solidarité d’un groupe qui partage une vision communautaire. « Toute l’histoire du progrès des libertés humaines montre que toutes les concessions faites à ses augustes revendications sont sorties de la lutte. S’il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. Ceux qui prétendent défendre la liberté et déprécient l’agitation sont des hommes qui veulent les récoltes sans labourer le sol. Ils veulent la pluie sans le tonnerre et les éclairs. Ils veulent l’océan sans les terribles rugissements de ses eaux profondes. La lutte peut être morale, ou elle peut être physique, mais ce doit être une lutte. Le pouvoir ne cède rien si on ne l’exige pas. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais. »

La cueillette des têtes de violon a de quoi me mettre les idées en place et ouvrir mes sens à tous les effluves printaniers. La Baie-des-Chaleurs reste un endroit où il fait bon vivre. Je t’y attends avec une bonne réserve de têtes de violon.

En toute amitié

Alvina

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