Une première sortie de camping

Lettre vagabonde – 25 mai 2005

Bonjour Urgel,

Beau temps mauvais temps, le camping du mont Carleton s’anime dès son ouverture le 15 mai. C’est le lieu privilégié des amateurs de pêche et de randonnées. Une soixantaine de roulottes remplissent les sites et s’y logent des pêcheurs et leur famille. Les tentes, occupées surtout par les randonneurs, prennent l’allure de camp de réfugiés à côté de cette ville sur roues. À chacun son rêve et ses projets et nous ferons bon ménage.

Le long week-end de congé du 20 mai attire une foule de campeurs. Le vent, le froid et la pluie s’y étaient aussi donné rendez-vous. Ça glace, ça bourrasque et ça gicle sous un chapiteau de grisaille. Peu importe le temps qu’il fait, chacun le prend et en fait quelque chose. Il y trouve son plaisir.

Les pêcheurs matinaux occupent les lacs dès l’aube. Les lacs Nictau, Bathurst et Nipisiquit s’agitent entre les lignes et les menteries des pêcheurs. Au mont Carleton, les truites sautent dans les paniers. Le poisson rallonge de la tête à la queue sous de multiples règles d’exagération. Le nombre de prises est gardé tel un secret de confessionnal.

Les enfants emmaillotés dans les anoraks, les tuques et les mitaines remplissent les aires de jeux avec des airs de liberté. La pluie se balance avec les enfants, la boue s’écarte sous les roues des vélos et le vent transporte au loin des cris de joie et d’insouciance.

Mon amie Lilianne sacrifie sa pêche quotidienne et accepte mon invitation d’entreprendre une courte randonnée dans le secteur du mont Sagamook. Nous partons à quinze heures sous un ciel qui pleuvine et un vent qui a déjà abattu trop d’arbres. Le sol est boueux mais de bonnes bottes de marche et nos bâtons en viendront à bout. On avance en admirant un sous-bois à peine sorti de l’hiver, où seule la fougère paraît avoir résisté aux intempéries. Plus on monte, plus on trouve l’hiver agrippé à la montagne. Bientôt la neige recouvre tout à fait le sentier. Le temps ne se mesure pas quand chaque pas cherche l’espace où se poser. En fin de journée, nous atteignons le sommet de 777 mètres du mont Sagamook. Le froid et le vent se saisissent de nos vêtements mouillés tandis que nous sommes saisies d’émerveillement devant ce haut lieu panoramique. De là où je me tiens sur la crête du rocher gris, j’aperçois à l’est les lacs en chapelets. Tout autour, des montagnes s’allongent de maille en maille jusqu’à n’offrir que leurs silhouettes vaporeuses au loin. Les monts à l’ouest sont camouflés par un mince brouillard effiloché. Juste en bas, le ravin n’a pas de fond.

La descente du côté est s’avère dangereuse à cause du sentier très accidenté. Aux pierres instables et aux rochers à contourner, s’ajoutent la neige et la glace. Le retour s’avère plus long que prévu. Une randonnée de deux heures s’est transformée en aventure grâce À notre insouciance. Il n’y a pas que les enfants qui se laissent pousser par le vent de la liberté. La brunante nous attendait à la base. Notre seul souci : Marie-Claire nous attend au camping et doit s’inquiéter.

Le soir descend, la pluie revient, intermittente. Au parc, le vrombissement des génératrices électriques recouvre tous les bruts. Les petits moteurs battront l’air jusqu’à vingt-deux heures. À la table de pique-nique, sous la bâche, à la lueur du fanal, nous mangeons avec appétit les délicieux hot-dogs préparés par Marie-Claire. Un bon vin rouge avec ça nous laisse goûter au bonheur et oublier le froid qui nous transit. Il est temps de s’amarrer au quai de la nuit.

En mai 2003, tu te souviens Urgel, nous avions atteint, au même endroit, le mont Head, les deux pieds dans la neige, le soleil dans les yeux et bien à l’aise dans nos manches courtes. Au mont Carleton, le temps toupille mais l’aventure est toujours au rendez-vous. La nature se lie comme une histoire qu’on invente. Ça confirme la pensée de la célèbre écrivaine voyageuse, Ella Maillart : « Notre état d’âme toujours changeant conditionne, transforme même, les paysages et les gens que nous rencontrons. » En fin de semaine, j’ai rencontré tant de bonne humeur sur les visages que j’ai cru moi aussi qu’il faisait beau soleil. Une expérience unique que de camper au mont Carleton.

Alvina

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